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Kommersant
Le 04 mai 2012
“Le jeu d’échec est un outil exceptionnel et pas cher de promouvoir un pays”

Andrey FilatovUn des actionnaires de «N-Trans» Andrey Filatov, explique pourquoi il a initié et sponsorisé le match pour le titre de champion du monde qui se tiendra à la Galerie Trétyakov.
Jeudi prochain, à la Galerie Trétyakov démarre l’événement clé de cette saison dans le monde des échecs – le match pour le titre de champion du monde entre Vishy Anand et Boris Guelfand. L’initiateur et le sponsor principal du match, l’un des actionnaires du groupement « N-Trans », Andrey Filatov, a expliqué au correspondant de “Kommersant” ALEXEY DOSPEKHOV, pourquoi il a décidé d’investir en jeu d’échecs, comment il envisage de changer son économie et créer un lien avec l’art russe.

– C’est votre motivation qui m’intéresse le plus. Pourquoi financer un match pour le titre de champion du monde des échecs ? Est-ce une action de valorisation de l’image de soi même, ou le désir d’aider au développement du sport auquel vous vous adonniez quand vous étiez jeune?
– Un pays qui se bat pour accueillir tous les événements internationaux importants - le sommet ATES, les Jeux Olympiques, la Coupe du monde de football, les Jeux universitaires, ne peut pas manquer une compétition qui autrefois était pour lui emblématique. Boris Guelfand, un ami de jeunesse, vainqueur du tournoi des prétendants, m’a dit que le lieu du championnat n’était pas encore défini et faisait l’objet de différentes rumeurs – soit en Inde, soit encore ailleurs. En effet, il s’est avéré que la ville de Moscou n’avait pas postulé, et après réflexions, j’ai décidé de tenter la chance.
– Vous avez senti qu’il y avait de bonnes chances de gagner?
– Au contraire, je n’étais pas sûr de décrocher le droit d’organiser le match. J’ai compris cependant que dans tous les cas, on était gagnant. Si la candidature de Moscou n’avait pas remporté la victoire, le gain de Boris Guelfand aurait été plus important, la ville concurrente étant obligé d’appuyer sa demande par une offre financière convaincante. Alors que dans le cas positif ce serait encore mieux: notre pays accueillerait une compétition importante inédite pour la Russie moderne. Vous devez reconnaître que cette motivation est simple et compréhensible. Ensuite, elle s’est transformée en fonction de la situation actuelle dans le domaine des échecs, de leur nouvelle économie et des éléments essentiels déterminant leur développement.
– De quels éléments il s’agît exactement?
– La question principale est d’associer l’Etat à nouveau au financement des échecs. Le match se déroulera dans un musée emblématique. Pourquoi? Comme vous le savez, Vishy Anand est le symbole national de l’Inde, leur idole qui, après sa victoire, a été accueilli à l’aéroport par 50000 personnes – c’est plus que la foule qui a accueilli Youri Gagarine en 1961. Son match avec Guelfand sera suivi par tout le pays, par des centaines de millions de gens. A travers des compétitions similaires, qui attirent des millions de gens, il est possible de valoriser la tradition culturelle de la ville d’accueil, de promouvoir son image, de développer le tourisme, d’éveiller l’intérêt envers notre peinture. Le jeu d’échecs est un outil exceptionnel et pas cher de promouvoir un pays, sa culture, les idées, et j’espère que l’Etat s’en rendra compte.
Bien entendu, il est très important que ce match déclenche l’intérêt envers les échecs chez la population russe, notamment chez les enfants.
L’Etat pourrait également investir dans ce domaine, par exemple, en organisant un tournoi au musée de la Bataille de Stalingrad. Ce qui permettrait de la faire connaître à travers le monde entier : malheureusement, nombreux sont ceux qui ne la connaissent pas ou qui l’ont oubliée.
– Et bien, c’est un premier point. Et les suivants?
– Je suis convaincu qu’il s’agisse d’une nouvelle économie porteuse d’avenir dans le secteur du tourisme et des musées. Grâce à l’organisation de tournois internationaux, certaines villes ont parfaitement réussi à promouvoir leur image, jusqu’à obtenir des dividendes matérielles rassurantes. Le meilleur exemple est Linares, une ville espagnole qui a connu une demande en immobilier colossale. Cependant, Linares est devenu célèbre grâce à un tournoi international des échecs très prestigieux qu’elle accueille régulièrement. En Espagne il y a un très grand nombre de villes similaires que tout le monde ignorent. Contrairement à celle-ci.
Un autre élément important est l’histoire des musées elle-même. Nous avons analysé les statistiques : l’an dernier, 81 millions de gens ont visité les musées. C’est un chiffre incroyable. A titre de comparaison : le nombre de spectateurs de l’ensemble des théâtres atteint 30 millions environ. Les gens reprennent le goût aux musées, une nouvelle étape de leur histoire commence … Un musée c’est avant tout une marque. Si nos musées promeuvent avec succès leur image, cela permettra d’attirer l’attention à l’art russe et à la culture russe en générale.
– Pensez-vous que l’art russe et l’art soviétique sont sous-estimés?
– Bien sûr! Au XX siècle, aucun pays n’a eu une histoire aussi mouvementée que la Russie : la guerre contre le Japon, la révolution de 1905 et celle de 1917, la Première Guerre Mondiale, la famine, les répressions … Les artistes russes sont inspirés par tous ces bouleversements. Certes, l’impressionnisme français c’est beau. Mais les tableaux des peintres russes sont animés par d’autres émotions très fortes. Rappelez-vous les portraits de Petrov-Vodkine. Ou le tableau de Laktionov à la galerie Trétyakov « Lettre venant du front ». Les gens de tous les pays du monde doivent les connaître. Alors que nous sommes toujours derrière un rideau de fer. Si nous arrivons à le détruire à travers la culture, un grand nombre de problèmes seront résolus, y compris au niveau de l’intérêt des investisseurs.
Je pense que la promotion des musées est une chose indispensable, y compris du point de vue des investissements dans l’économie du pays. Le musée du Louvres bénéficie d’un budget d’un milliard d’euros par an. Il est impossible de créer une nouvelle zone touristique sans y fonder un musée intéressant, sans favoriser la vie culturelle. Un touriste peut passer une semaine au soleil sur la plage, mais après il va s’ennuyer. Pourquoi les gens vont en France ? Parce que là bas il y a la Côte d’Azur, et le Louvres, et la proximité des richesses de la culture mondiale. Partout les gens sont conscients de l’importance des valeurs culturelles. Les musées ouvrent leurs portes, par exemple, en Emirats Arabes, ainsi que dans d’autres pays …
Je trouve très intéressante l’idée de les promouvoir à travers les compétitions sportives. A ma connaissance, à Liverpool un tournoi serait organisé dans un musée …
– Votre idée pilote a-t’elle ses adeptes?
– C’est moi qui l’ai suivie plutôt. Est-ce que vous savez qu’une telle initiative a déjà été réalisée ? Et savez-vous par qui ? Par Staline. En 1935, un tournoi a été organisé au Musée Pouchkine. Le gouvernement soviétique a voulu montrer au monde entier que l’URSS n’avait pas vendu l’héritage culturel russe.
Je répète, j’espère très fort que nous allons franchir le cap. Que grâce à cet événement le marché de l’art russe prendra de l’élan. Nous pourrions peut être faire venir des investisseurs de l’Asie. Ou bien les images du match tournées en Inde vont à tel point toucher un milliardaire local, qu’il dirait « Je rêve d’avoir un Chichkine chez moi ». Un milliardaire qui n’avait jamais vu une aussi belle forêt que sur les tableaux de Chichkine – la forêt russe !
– Je ne peux pas croire que vous n’avez pas du tout pensé à vous même.
– Bien sûr, j’y ai pensé. Qui étais-je avant ce match ? En gros, j’étais un simple entrepreneur. Alors que maintenant je suis interviewé par The Times et le Commercant… Ce qui peut devenir un exemple pour plusieurs entrepreneurs. Chez nous il y a des milliers de gens aisés. Et si ces milliers de gens adoptaient le même comportement, on vivrait dans un autre pays. La société elle aussi changerait d’attitude envers les entrepreneurs.
– Un des problèmes constamment évoqués par des responsables du monde des échecs pour expliquer leurs défaites commerciales, c’est un manque d’attirance visuelle de ce jeu. L’audience étant assez nombreuse, elle est présente essentielle sur internet et se focalise sur les débuts et les finales plutôt que sur l’image.
– Du point de vue de la télévision, à mon sens, ce match comporte une intrigue. Anand est le symbole de l’Inde. Guelfand peut en devenir un pour l’Israël, s’il gagnait. Il est difficile d’imaginer qu’un événement d’un tel niveau et d’une telle envergure passe inaperçue. En plus, il y a Internet.
– Est-ce que vous avez réfléchi à d’autres variantes en plus de la Galerie Trétyakov ?
– Nous avons pensé au Musée Pouchkine qui fête ses cent ans cette année. Cependant, nous avons choisi la « Trétyakovka » qui conserve toutes nos richesses créées en XX siècle, si peu connues dans les autres pays du monde. Ainsi, le symbole artistique du match est le tableau de Viktor Popkov « Equipe au repos », avec les ouvriers jouant aux échecs. Malheureusement, cet artiste n’est pas connu ! Alors que c’est le seul parmi nos peintres ayant gagné le Biennale à Paris. C’est le seul peintre dont les tableaux créés à l’âge d’étudiant, ont été achetés par nos meilleurs musées de son vivant. C’est un génie.
– Comment avez-vous appris que votre offre avait remporté la victoire? Est-ce que vous saviez déjà que Chennay, la ville natale d’Anand, n’était pas capable de vous surpasser?
– J’ai été informé par la Fédération Russe des Echecs. C’était une surprise.
– Etait-ce une vraie surprise?
– Je dirais que la bataille aurait pu être plus dure. Mais, suite au fait que le président de la FIDE ait joué aux échecs avec Kaddafi juste avant le bombardement de la Lybie, un grand nombre de concurrents potentiels n’ont pas soumis leur offre.
– Avez-vous discuté du match avec K. Ilumjinov?
– Je l’ai vu une seule fois dans la vie – en février, lors de la signature du contrat.
– Avez-vous pris une part active lors de l’organisation, vous personnellement et votre société?
– Principalement c’était la Fédération des Echecs Russe qui en était responsable.
– Quel type de relations avez-vous avec la Fédération?
– Ce sont des relations de travail respectueuses. La FER a soutenu l’idée d’organiser le match à Moscou et s’est chargée de son organisation, ce qui, croyez-moi, est très difficile compte tenu de l’importance de l’évènement.
– Si je comprends bien, pour vous ce match n’est pas une action occasionnelle?
– On verra ce qui va se passer. Mais, franchement, nous avons déjà prévu d'autres projets. Par exemple, organiser un grand tournoi franco-russe, le Mémorial Alexandre Alekhine.
– Juger par le fait que vous avez financé la restauration du monument à Alexandre à Paris, vous attachiez un intérêt tout particulier à lui?
– Oui, je pense que c’était une personne unique. Un grand joueur d'échecs au sort difficile et ambigu. Il a quitté la Russie, il s’est évadé de la révolution. Ensuite, en France, il a collaboré avec les nazis, parce qu’il voulait, comme il disait, sauver sa femme, qui était juive, du camp de concentration… A propos, en Israel, ils ont une attitude normale envers Alekhine. Et nous devons en tout cas reconnaître la performance de notre compatriote, qui était un joueur remarquable, et qui est mort invaincu. On a une idée d’organiser un tournoi à sa mémoire, qui puisse avoir lieu, par exemple au Louvre et à la fois dans un de nos meilleurs musées. Passer la première moitié de tournoi là-bas, et une autre moitié – ici. Je négocie déjà à ce sujet.
– Cela sonne bien.
– D’une manière générale, il nous faut un système qui soit «téléchargé» et pui fonctionne, que le mécanisme se reproduise, et que de différents musées y participent, même peut-être il faut en créer de nouveaux. Moi personnellement, comme un Russe, je suis navré, que nous n’ayons pas de musée de Première Guerre Mondiale. A cette époque nous avons perdu quatre millions de nos compatriotes, et alors? Nous parlons de la mémoire, nous essayons de bien élever nos enfants, tandis qu’ils ne savent presque rien de la Première Guerre Mondiale. Une histoire bien remarquable s’est passée avec le maréchal Rodion Malinovsky. En tant que ministre de la défense, il a rendu la visite en France avec Nikita Khroutchev et a visité la ville de Marseille. Et sa visite y a produit un effet d’une véritable frénésie: tous les journaux ont annoncé – «Vieux soldat est revenu». Malinovsky a fait la guerre au sein de la brigade russe, celle qui avait participé à la meutrière bataille de Verdun en France lors de la Première Guerre Mondiale. Il y a été blessé. Après, à l’URSS, il est déjà devenu maréchal… En France il y a le musée de Verdun avec les photos de nos soldats. Nous n’avons rien de pareil. Et peut-être, à l’aide d’un championnat des echecs nous pourrions expliquer à nos enfants, que cet évènement a eu lieu dans notre histoire et nous devons nous en souvenir. Est-ce vraiment mauvais?
– Revenons au match. La nouvelle, que la société NOVATEK et Guennady Timchenko personnellement figurent sur la liste des sponsors, m’a beaucoup surprise. Auparavant, on savait pas qu’il aimait les échecs.
– Pour moi c’étatait aussi une surprise agréable. Par exemple, dans ce projet Guennady Timchenko a pris en charge la création des films sur la Galerie Trétyakov et les artistes russes, bien que le soutien de programme pour les enfants – on prévoit l’arrivée à Moscou au match des enfants qui jouent aux échecs dans les autres villes de la Russie.
– Il s’avère que dans notre pays il y a tant de gens qui ne restent pas indifférents aux échecs, et ils ne sont pas insignifiants – vous, Timchenko,d’autres entrepreneurs. Arkady Dvorkovitch et Alexandre Joukov sont en tête du Conseil de Surveillance de la FER. Alors pourquoi donc ces dernières années les échecs en Russie sont en état de stagnation?
– Nous nous posons des questions en matière d’autres domaines également. Est-ce que tout va bien dans les autres sports? Patinage artistique, athlétisme, biathlon, ski alpin? On remarque un certain progrès. Et les échecs, comme on dit, sont en train de monter sur les pieds.
– Quel est votre budget pour le match? J’ai entendu parlé d’environ de $5 mln. Ce chiffre est correct?
– Hélas, nous l’avons excédé.
– Les gens concernés me disaient que vous pouviez être candidat au poste de chef du Conseil de Surveillance de la FER au cas où Arkady Dvorkovitch le quitte pour certaine raison. C’est vrai? Avez-vous une telle ambition?
– Je n’ai pas d’ambitions pareilles. Et encore un moment. Le modèle qui prévoit la participation des Conseils d’administration, ce qui est appliqué à FER et dans d’autres fédérations à l’heure actuelle, ne me semble pas tout à fait correct. Il faudrait organiser les élections du chef de l’organisation régulières, comme c’était autrefois. Il faudrait simplifier tout ce système compliqué, que la fédération soit une institution intelligible, démocratique.
– C’est-à-dire le président doit être un leadeur réel…
– …qui soit élu par les joueurs d’échecs, les représentants de la société d’échecs. C’est tout.
– Mais en Russie il est considéré que, la fédération de sport reste inefficace sans qu’elle ne soit pas strictement contrôlée par l’état.
– Permettez-moi de vous citer un exemple du business qui m’est bien familier. Par quoi le développement des chemeins de fer a-t-il commencé en Russie? Par les investissements russes. Les investisseurs privés russes ont persuadé le tsar, qu’il était nécessaire de développer l’infrastructure des chemeins de fer. Et ça a marché. Le rôle de l’état est sans aucun doute important. Mais sans l’initiative privée rien est possible.
– Vous avez avoué que jusqu’ici vous êtes resté amis avec Boris Guelfand. N’avez-vous pas peur qu’à cause de cette amitié champion du monde Vichvanatan Anand, se sente mal à l’aise à Moscou?
– Notre objet est d’organiser le match dignement, et ne pas contribuer à la victoire de tel ou tel joueur d’échecs. Et faire de sorte que, lors du tournoi, personne n’ait l’avantage par rapport à son adversaire, que la lutte sportive soit honnête. Lors du match je n’ai aucun droit de faire voir mes sympathies ou mes préférences. Pour être honnête, c’est difficile mais je promets que je vais adhérer notamment à cette ligne.

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